Discours de M.Angelo SOLA en 1966
Discours de M.Angelo SOLA, Maire de Finale-Emilia, lors de la première rencontre à Grézieu-la-Varenne le 18 Avril 1966
" Monsieur le Maire, habitants de Grézieu-la-Varenne,
Je suis heureux et honoré de vous donner au nom de la municipalité de Finale-Emilia le salut fraternel et cordial que par mon intermédiaire vous exprime toute la population finalésienne.
Je suis heureux de vous exprimer ma gratitude la plus vive pour avoir bien voulu accepter ma proposition de jumelage.
Je suis vraiment très heureux d'avoir la chance de pouvoir aujourd'hui avec vous exécuter le vote que les conseillers municipaux de nos deux villes ont adopté, vote qui, par l'acte récemment signé, devient un engagement solennel pour les années à venir.
Cette rencontre fut inspirée par les principes exposés dans la carte des villes jumelées; elle trouve son précédent dans l'amitié traditionnelle de nos populations et dans leur souche commune, le support naturel dans l'évolution de la civilisation et de la culture, dans la pensée des précurseurs et dans l'ascension des patriotes qui ont construit et cimenté les faits, la vie et l'histoire des Nations, ont confié l'engagement commun de vivre d’une façon pacifique et humaine.
Nous avons en outre l'avantage particulier de fonder notre jumelage non seulement sur la base de principes solennels, mais surtout sur la base d'une époque que nos pères ont vécue ensemble, de rapports sociaux et affectueux qui furent noués entre vos concitoyens et les nôtres, de fait, d'épisodes, qui ont été relatés dans les journaux et dans les documents, et qui, cela se comprend, renouvellent et approfondissent les connaissances.
C'est avec une satisfaction profonde, Monsieur le Maire et cher collègue, -et je dirais avec une certaine émotion- que je répondis à la lettre du 8 juin 1961, qui me permit de vous adresser la parole pour la première fois : je le faisais au nom de François CASSETTI et je souhaitais que cela devint le lien idéal qui unit à jamais nos deux villes dans la plus affectueuse fraternité.
Aujourd'hui ce fil s’est fortifié et ne lie plus notre seul échange épistolaire et les délibérations adoptés par les conseillers municipaux, mais confirme le pacte dans cette réunion publique et va construire le chemin qui unira à vous les finalésiens qui sont arrivés aujourd'hui, et qui nous unira en septembre prochain à ceux des vôtres qui seront parmis nous. Et le lien idéal devra être solide, pour résister et exister, être un échange continuel de relations qu'il faudra étendre et consolider.
J’ai dit et je répète que le nom de François CASSETTI constitue le lien idéal qui a donné le départ à nos relations, en langage technique ce pourrait être l'élément définitif catalyseur qui a permis notre jumelage.
Je me dois en conséquence de vous répéter l'expression de notre gratitude. Je n'illustrerais certes pas les phases de votre activité de Maire de Grézieu-la-Varenne, d'homme voué à la cause de la Démocratie et du Progrès Humain, phases qui m'ont été d'ailleurs indiquées de manière sommaire, et je n'entends pas transformer cette fête en une évocation du passé.
Je crois nécessaire que chacun et en particulier les jeunes méditent sur le passé afin d'en tirer les leçons.
Les souffrances supportées pas François CASSETTI nous en donnent un exemple.
François CASSETTI (1798-1884) fit partie de la troupe de patriotes qui, proche des idéaux formulés par la révolution française, exposèrent leur vie pour que l'Italie fut une, libre et indépendante.
Le mouvement dirigé par Cicco MENOTTI, dans la nuit du 3 février 1831, déclenchant les réactions, dut abandonner Finale-Emilia et l'État de la Maison d'Este pour se soustraire à la colère ducale.
Contre les insurgés, l'Autriche, rompant les accords de "non intervention" déclarés d'une façon ambiguë par Louis Philippe, avait déployé de puissants corps d'armés qui, dépassant le Pô, marchaient avec comme objectif de couper à la racine l'hydre de la révolte, de chasser les possesseurs du pouvoir, de mettre sur le trône de Modène FRANÇOIS IV d'Austria-Este et, dans les légations de la Romagne où la révolte s'était étendue, de restaurer le pouvoir du Pontife Romain.
Battus à Novi et à Rimini, poursuivi par un corps autrichien de 25000 hommes armés, les 5000 hommes des troupes libérales de Modèneet de Bologne se replient sur Ancône, où elles se dispersent. Beaucoup s'embarquèrent en direction de Corfou, Malte, la Corse, Marseille.
Entassés avec 80 compagnons sur le brick "Le Lion d'Or" les patriotes finalais, Ignace CALVI, Pierre FRASSONI, Julien GRAMIGNA, Laurent et Louis MARCHETTI, contournaient la péninsule et, le 1er juin, deux mois après être partis, mettaient pied sur la terre française.
Ils furent dirigés sur Mâcon et ainsi commença l'odyssée de l'exil.
Les réfugiés finalais demandèrent à être transférés à Grézieu-la-Varenne, que Ignace CALVI décrit dans ses "souvenirs" comme un village d'une centaine de maisons, situé à quelques lieues de Lyon, une délicieuse plaine au pied de collines agréables. Plus tard vinrent s'intégrer au groupe, Augustin MARCHETTI et François CASSETTI; puis le groupe se dispersa : Ignace CALVI partit à Paris; il participa à la funeste expédition de Savoie avec le général RAMORINO, et rentra en Italie 17 ans après, en 1848, pour se battre contre les autrichiens sur le Pô, à la tête d'une compagnie de volontaires.
FRASSONI, GRAMIGNA, et Augustin MARCHETTI rentrèrent en Italie; Louis et Laurent MARCHETTI s'établirent à Lyon.
François CASSETTI resta à Grézieu-la-Varenne. Il se voua avec la foi de l'apostolat à la médecine, soigna gratuitement les indigents. Il devint maire (1870-1876 et 1878-1884) et au bel âge de 86 ans, termina sa vie mouvementée non sans avoir lui-même dessiné la pierre tombale et écrit l'épitaphe dans laquelle il voulut affirmer qu'il n'eut d'autre religion que celle d'avoir vécu comme un homme honnête et d'en conclure le texte avec le verset biblique : " alteri non feceris quod tibi fieri non vis "
Ces noms, ces dates, je les ai cités afin de nous montrer à quelle grande école se forma cette génération.
L'exil, les amères vicissitudes, les discordes, les restrictions, les sacrifices, parfois même la faim, mais par contre la solidarité de la population française, son attachement à l'idée et la pratique de la Liberté, le degré avancé de sa culture, le mouvement etl'engagement politique qui s'en dégageait, firent de ses réfugiés autant de porteurs de l'Idéal; ils transformèrent les exilés et les déportés en " cadres " très efficaces dans la structure politique et militaire du " risorgimento d'Italie "; ils en firent en un mot des résistants.
C'est pour cette raison que nous pouvons être d'accord avec qui affirme que " tout progrès de l'humanité est dû à des utopies réalisées ".
Pour de nombreuses personnes, le jumelage entre les villes est défini comme étant une utopie. Le jumelage ne veut certainement pas être un remède contre tous les maux du genre humain. C'est une des tentatives les plus ardues et les plus concrètes faites pour trouver à ces maux un remède proportionnel à leur grandeur et à leur urgence.
En fait, personne n'a plus le droit d'ignorer le fantastique élan de la technique, diminuant le monde et nous rendant tous voisins, sur le point de détruire les barrières - que justifiait ou expliquait encore hier la tradition - barrières dues aux coutumes, aux niveaux de vie, à la langue et surtout barrières dues aux préjugés et à la haine.
Capables de conquérir demain telle ou telle planète, nous accepterons peut-être, pour n'avoir pas su organiser notre société, d'être les vaincus de notre victoire et les victimes de notre puissance.
Réussirons-nous vraiment à temps à connaître notre prochain, " l'Homme Planétaire ", à le comprendre, à respecter son héritage spirituel, - car lui respecta le nôtre -, et à lui donner et à lui demander l'aide nécessaire afin que soient effacées les inégalités devenues intolérables?
Prendre l'homme dans le cadre naturel où il vit, dans l'ambiance de la commune et de la ville qui ne subit pas les contre-coups de la politique de puissance et de prestige, mettre cet homme en contact direct et personnel avec d'autres hommes, citoyens d'autres pays, faire sentir à tous à travers un tel contact, combien les sentiments et les problèmes se ressemblent, créer à la base de la Société Humaine, ceci est l'idée majeure qui nous a conduits à cette rencontre.
En souvenir de François CASSETTI, des patriotes, des résistants de chaque pays et de toutes les époques, je vous exprime le sentiment des Finalésiens qui souhaitent coopérer pour que cette idée soit mise en pratique.
Je vous exprime notre fraternel et plus cordial salut."